Anarchy Alive !
L’anarchie est vivante, mais sait-elle à quel point elle l’est ? C’est peut-être le résumé le plus bref possible du livre de Uri Gordon. Et décrire à quel point elle l’est, rend difficile la tâche de résumer ce livre .
Vivien Garcia, traducteur de l’ouvrage et auteur de la préface, le situe à juste titre dans la tradition d’ouvrages universitaires anglophone « qui s’intéressent aux gestes et pensées anarchistes » :
« En Europe francophone, la traduction de cet ouvrage offre peut-être la première introduction générale à des préoccupations et courants qui structurent une bonne part des réflexions libertaires en Amérique du Nord et, par communauté linguistique, dans le monde anglophone »
Si ce livre est né d’une thèse universitaire – Anarchism and Political Theory:Contemporary Problems – et si Gordon est un universitaire, ce livre est avant tout celui d’un militant engagé et se lit comme tel.
La thèse du livre, au premier sens du terme comme il été dit plus haut, est la ré-émergence de l’anarchisme comme mouvement social, sous une forme contemporaine, en discontinuité marquée avec le mouvement ouvrier et paysan historique. L’anarchisme contemporain serait le point d’intersection des mouvement radicaux d’actions directs des années 60 – le féminisme, l’écologie, la résistance à l’énergie et aux armes nucléaires , à la guerre et à la mondialisation néo-libérale.
L’apparition d’une « nouvelle école » à côté d’une « ancienne école » en quelque sorte. Cette thèse est soutenue par Graeber (1) également, mais l’approche et les conclusions diffèrent quelque peu. Là où Graeber fait une distinction au sein du mouvement anarchiste, entre « groupes Anarchistes avec un A majuscule » qualifiés de « dogmatiques » (implicitement, avance Gordon, des organisations comme l’Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA) ou la International Workers Association) et une tendance majoritaire d’anarchistes avec un a-miniscule ; Gordon réfute cette ligne de partage, mettant en doute que beaucoup de militantEs des A-majuscules conçoivent leur anarchisme de manière dogmatique, comme une ligne dictée « par le parti »
La différence repose selon lui non pas sur l’aspect dogmatique ou non, mais sur la culture politique, celle de la « vieille école » restant en grande partie étroitement liée avec l’histoire du mouvement anarchiste du XIXème siècle et du début du XXème.
La « nouvelle école », difficile à cerner, car ne se qualifiant pas toujours « anarchistes » , certainEs militantEs en refusant même le nom, repose sur ce que Jeff Juris a appelé la logique culturelle du travail en réseau réseau [ cultural logic of networking] :
« Cette forme d’organisation et de pratique politique est basée sur des structures non-hiérarchiques, une coordination horizontale de groupes autonomes, un accès ouvert, une participation directe, des modalités de prises de décision fondées sur le consensus et l’idée d’une circulation libre et transparente de l’ information »(2)
Là où l’organisation « traditionnelle » cherchera à recruter, la logique de réseau aura pour objectif » une expansion horizontale et « une connectivité » améliorée en articulant divers mouvements dans des structures d’information flexibles et décentralisée, qui permettent une coordination et une communication maximale » (2)
Les relations entre « nouvelle » et « vieille » écoles sont tendues.
« L’essai polémique de Murray Bookchin , [qui a été l’un des premiers à ouvrir le feu], – Social Anarchism or Lifestyle Anarchism: An Unbridgeable Chasm (3) – laisse entrevoir l’acceptation et la défense d’une orthodoxie anarchiste » à partir de laquelle les nouvelles tendances de l’anarchisme se voient niée toute légitimité et refuser la solidarité »
Gouffre insurmontable ? Gordon cite John Moore, qui plaide pour un « maximalisme anarchiste » où tout serait ouvert à la critique et à la réévaluation » en particulier quand on approche ces icônes que sont les vestiges de l’anarchisme classique ou les modes précédentes du radicalisme (par exemple, le travail, l’ouvriérisme, l’histoire) ou ces icônes caractéristiques de l’anarchisme contemporain (par exemple, le primitivisme, la communauté, le désir et – par dessus tout – la nature). Rien n’est sacré, encore moins les tabous fétichisés, réifiés de l’anarchisme » (4)
Gordon s’attache ensuite à approfondir les caractéristiques de « l’anarchisme contemporain » . Lorsqu’elle se fait en comparaison avec l’anarchisme social, on peut regretter, ou reprocher certaines approximations ou raccourcis hâtifs – mais peut-il en être autrement dans un ouvrage qui n’est pas destiné à en être une critique – ce qui ne retire rien de l’intérêt du travail de Gordon, écrit sur un ton non polémique, et qui, loin de vouloir apporter des réponses définitives, ni jeter le bébé de la « vieille école » avec l’eau du bain, ouvre des pistes de réflexions sur de nombreux sujets. La richesse de l’ouvrage et les nombreux thèmes abordés se prêtent, invitent, à la poursuite du débat et de la réflexion.
De ce débat et de ces réflexions, qui ne sont pas l’apanage d’une « nouvelle école », ni des chercheurs universitaires, mais que doivent s’approprier les militantEs,dépend sans doute l’avenir de l’anarchisme dans le XXIème siècle.
Parce que, comme le dit Gordon, » L’anarchisme n’a pas encore dit son dernier mot »
1. L’Anarchisme, Ou Le Mouvement Révolutionnaire du Vingt et Unième Siècle . Andrej Grubacic & David Graeber (traduction)
http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org/viewtopic.php?f=16&t=6858#p82921
Texte original : http://www.zcommunications.org/anarchism-or-the-revolutionary-movement-of-the-twenty-first-century-by-david-graeber Publié le 6 janvier 2004
2. Jeff Juris « Digital Age Activism: Anti-corporate globalization and the cultural politics of transnational networking » (2004); PhD thesis, University of California at Berkeley .
3. http://libcom.org/library/social-anarch … y-bookchin
4.Maximalist Anarchism/Anarchist Maximalism, Social Anarchism 25; http://www.spunk.org
La thèse de Uri Gordon est disponible en ligne :Anarchism and Political Theory:Contemporary Problems
http://theanarchistlibrary.org/library/uri-gordon-anarchism-and-political-theory-contemporary-problems
On peut lire aussi la critique du livre par Wayne Price The Two Main Trends in Anarchism
http://theanarchistlibrary.org/library/wayne-price-the-two-main-trends-in-anarchism
L’occasion de saluer ici le travail de l’Atelier de Création Libertaire http://www.atelierdecreationlibertaire.com/