ZONE A

17 février 2013

À propos de la Plate-forme. Lettre à Errico Malatesta de Nestor Makhno. 1928

Filed under: Textes et Documents — R&B @ 10 h 43 min

La Plate-forme d’organisation d’une Union Générale des Anarchistes est un mode d’organisation anarchiste proposé par le groupe des anarchistes russes à l’étranger, paru le 20 juin 1926 dans la revue Dielo Trouda. http://www.nestormakhno.info/french/platform/org_plat.htm
En octobre 1927, Errico Malatesta publie dans Le Réveil Anarchiste une réponse à la plate-forme intitulée Un projet d’organisation anarchique.http://www.nestormakhno.info/french/mal_rep1.htm Suite à la publication de cet article, Makhno écrivit une lettre à Malatesta À propos de la Plate-forme, 1928 [Texte traduit ci-dessous] dans laquelle il défend le principe de responsabilité collective comme étant une preuve que l’anarchisme peut être un guide pour les travailleurs en période révolutionnaire.
Et la réponse de Malatesta, qui suit.
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Source :
Extrait de Errico Malatesta THE ANARCHIST REVOLUTION Polemical Articles 1924-1931
Edité et préfacé par Vernon Richards
Freedom Press London 1995
Cher camarade Malatesta,
J’ai lu ta réponse au projet de plateforme d’organisation d’une Union Générale des Anarchistes, un projet publié par le groupe des anarchistes russes à l’étranger.

Mon impression est que soit tu as mal compris le projet de « plateforme », sois que ton refus de reconnaître la responsabilité collective dans l’action révolutionnaire et le rôle d’orientation que les forces anarchistes doivent jouer, découlent d’une profonde conception de l’anarchisme qui te conduit à ne pas prendre en compte ce principe de responsabilité .

C’est, cependant, un principe fondamental, qui guide chacun d’entre nous dans notre façon de comprendre l’idée anarchiste, dans notre détermination à ce qu’elle pénètre les masses, dans son esprit de sacrifice. C’est grâce à lui qu’un homme peut choisir la voie révolutionnaire et ignorer les autres. Sans lui, aucun révolutionnaire n’aurait la force nécessaire, la volonté ou l’intelligence de supporter le spectacle de la misère sociale, et encore moins de la combattre. C’est à travers l’inspiration de la responsabilité collective que les révolutionnaires de tous bords et de toutes tendances ont uni leurs forces; c’est sur cela qu’ils ont fondé leurs espoirs que leurs révoltes fragmentaires – révoltes qui ont ouvert la voie aux opprimés – ne l’ont pas été en vain, que les opprimés comprendraient leurs aspirations, en tireraient les enseignements appropriés à leur époque et les utiliseraient pour trouver de nouvelles voies vers leur émancipation.

Toi-même, cher Malatesta, reconnaît la responsabilité individuelle de l’anarchiste révolutionnaire. Et, qui plus est, tu y as prêté ton concours à travers ta vie de militant. Du moins, c’est comme cela que j’ai compris tes écrits sur l’anarchisme. Mais tu nies la nécessité et l’utilité de la responsabilité en ce qui concerne les tendances et les actions du mouvement anarchiste dans son ensemble. La responsabilité collective t’inquiète; alors tu la rejettes.

Pour ma part, ayant l’habitude d’être exposé pleinement aux réalités de notre mouvement, ton déni de la responsabilité collective me frappe, non seulement parce qu’il est sans fondement, mais qu’il est aussi dangereux pour la révolution sociale, dont tu serais bien avisé de prendre en compte l’ expérience quand arrive le moment de mener une bataille décisive contre tous nos ennemis en même temps. Aujourd’hui, mon expérience des luttes révolutionnaires du passé me conduit à penser que, quelque soit l’ordre du déroulement des évènements révolutionnaires, on a besoin de donner d’importantes directives, à la fois idéologiques et tactiques. Cela signifie que, seul, un esprit collectif, intelligent et dévoué à l’anarchisme, peut satisfaire aux besoins de ce moment-là, à travers une volonté responsable collective. Aucun d’entre nous n’a le droit d’esquiver cette part de responsabilité. Au contraire, si cela a été jusqu’à maintenant ignoré parmi les rangs des anarchistes, cela doit devenir aujourd’hui, pour nous anarchistes communistes, un article de notre programme théorique et pratique.
Seuls, l’esprit collectif de ses militants et leur responsabilité collective permettront à l’anarchisme moderne d’éliminer de ses milieux l’idée, historiquement fausse, que l’anarchisme ne peut pas être un guide, ni en terme d’idéologie, ni en pratique – pour la masse des travailleurs dans une période révolutionnaire et, par conséquent, ne pourrait pas inclure une responsabilité globale .

Je ne m’attarderai pas, dans cette lettre, sur les autres points de ton article contre le projet de « plateforme », comme celui où tu vois une « église et une autorité sans police ». J’exprimerai seulement ma surprise de te voir utiliser un tel argument dans ta critique. J’y ai réfléchi longuement et je ne peux pas accepter ton opinion.

Non, tu as tort. Et parce que je ne suis pas d’accord avec ta réfutation, en utilisant des arguments trop faciles, je pense que je suis en droit de te demander:

I. L’anarchisme devrait-il prendre quelques responsabilités dans la lutte des travailleurs contre leurs oppresseurs, le capitalisme et son serviteur, l’Etat?
Si non, peux-tu me dire pourquoi? Si oui, les anarchistes doivent-ils travailler à permettre à leur mouvement d’exercer une influence sur la même base que l’ordre social ?
2. L’anarchisme peut-il, dans l’état de désorganisation actuel, exercer une quelconque influence, idéologique ou pratique, sur la situation sociale et la lutte de la classe ouvrière?
3. Quels sont les moyens que devraient adopter l’ anarchisme, en dehors de la révolution, et quels sont les moyens dont il peut disposer pour prouver et affirmer ses concepts constructifs ?
4. Est-ce que l’anarchisme a besoin de ses propres organisations permanentes, liées étroitement entre elles par l’unité d’objectifs et d’actions pour atteindre ses buts?
5. Qu’est-ce que les anarchistes entendent par établir des institutions en vue de garantir le libre développement de la société?
6. Est-ce que l’anarchisme , dans une société communiste qu’il conçoit, peut se passer d’institutions sociales? Si oui, par quels moyens? Si non, lesquelles devrait-il reconnaitre et sous quels noms les créerait-il? Les anarchistes y joueraient-ils un rôle déterminant, donc de responsables, ou se contenteraient-ils d’être des auxiliaires sans responsabilité?

Ta réponse, cher Malatesta, revêtira une grande importance pour moi pour deux raisons. Elle me permettra de mieux comprendre ta façon de voir les choses en ce qui concerne les questions d’organisation des forces anarchistes et du mouvement en général. Et, soyons francs, ton opinion est immédiatement acceptée par la plupart des anarchistes et sympathisants sans aucune discussion, comme celle d’un militant expérimenté qui est resté fidèle,sa vie durant, à son idéal libertaire. Par conséquent, de ton attitude dépend, dans une certaine mesure, si une étude complète des questions urgentes que pose cette époque à notre mouvement sera entreprise, et donc, si son cours sera ralenti ou fera un nouveau bond en avant. En stagnant dans le passé et le présent, notre mouvement n’ y gagnera rien. Au contraire, il est essentiel que, compte tenu des événements qui se profilent devant nous, il se donne toutes les chances de remplir son rôle.

J’attache beaucoup d’importance à ta réponse.
Salutations révolutionnaires

Nestor Makhno

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